"Ce que j'ai vu, ce que je sais"
Résidence de création avec FOTOLIMO et MEMORIAL DE RIVESALTES (2018-2019)
Kassoum est arrivé avec des lékés aux pieds. Au Maroc, il dort avec, il court avec, il traverse la mer avec. Arrivé en Espagne, la police lui jette – « quand tu touches le sol européen, tu es obligé de te défaire de tes affaires ». De son histoire.
Kassoum n’a rien vu de sa traversée. Blessé, il est arrivé inconscient sur les rives de l’Europe.
Comme Mohamed.
Comme Diaby, qui a préféré voyager avec un bandeau sur les yeux, pour ne pas voir. Ne pas crier.
Trouver des papiers. Prouver ton histoire. T’intégrer.« Parler leur langue et parler de la manière dont ils parlent, vivre de la manière dont ils vivent. »
Découvrir que t’es un étranger. Etrange-r, qui n’a pas les mêmes droits.
Oublier. Non. Ne pas oublier.
La mer. Tu regardes la mer ? Non. Elle te fait peur. Très peur. Il y a ceux qui manquent.
J’ai rencontré Mohamed, Kassoum, Diaby, Issa, Karim, Soufiane, et tant d’autres à Perpignan. Tous, sont des rescapés de l’Open Arms, du SeaWatch ou du Salvamento. Ils portent la frontière en eux. Ils en sont les experts.
En 20 ans, la Méditerrannée est devenue une fosse commune où les corps abandonnés hantent une Europe asséchée, mortifiée dans son désir de hiérarchisation des vies humaines.
Se souvenir des morts, et honorer les vivants.
On ne peut pas déplorer les morts, et ne pas accueillir, ici et maintenant, les vivants.
Qu’importe la fiction. La vérité est qu’ils sont là.Que le monde est un.
Leurs récits m’en rappellent d’autres, ceux des enfants d’il y a 80 ans qui avaient franchi cette même frontière. Ils sont les enfants de la Retirada espagnole. Leurs familles ont lutté contre le fascisme pendant la guerre d’Espagne. En 1939, ils doivent quitter l’Espagne de Franco. Arrivés en France, ils deviennent des indésirables enfermés dans les camps d’internement du Roussillon et d’ailleurs. Ils étaient les ennemis d’hier des idéologies fascistes. Ils sont les ennemis d’aujourd’hui.
Alors que des hommages sont aujourd’hui rendus aux exilés espagnols, la présence des jeunes exilés est sans cesse remise en cause. Contre l’amnésie, et pour saisir le bégaiement historique actuel, les exilés espagnols nous invitent à regarder le présent à travers leurs récits.
La restitution complète de la résidence aura lieu au Mémorial de Rivesaltes en 2020.